Le Web rend-t-il fou ? Edito de Philippe Gilles

Le Web rend-t-il fou ? Edito de Philippe Gilles

Alors que le commerce a besoin de financements pour se « phygitaliser », les banques regardent ailleurs !


Internet rend fou ! C’est sans doute exagéré mais certains comportements insinuent le doute. Son avènement en Europe, au mitan des années 1990, a commencé à chambouler celle appelée à devenir « la vieille économie », bouleverser les relations sociales et révolutionner la communication. Internet a très vite provoqué une « bulle » spéculative qui, dans un monde peuplé d’êtres sensés, aurait dû les alerter. Plutôt que de s’amender et de corriger leurs excès, les acteurs pointés ci-dessus ont renchéri dans leur aveuglement ou, au contraire, dans une sorte de fuite en avant consciente.

Les promesses (réelles) du web ont fait tourner les têtes et ses inconditionnels ont fini par marcher sur la leur !

Prenons l’exemple du e-commerce, et singulièrement l’attitude des pure-players de la chaussure, un produit qui a donné toute la mesure de sa démesure en la matière. Commander ses chaussures sur Internet était déjà une gageure du fait des caractéristiques tridimensionnelles du produit : pointure, largeur, volume. Trois facteurs possibles d’échec à l’essayage.
 


La start up : Du brain storming, de l'ambition, des financements, mais un avenir incertain

 


Pour un Uber qui a atteint une forte notoriété (mais pas la rentabilité),
combien de start up financéés mais condamnées à cout terme

 

Il ne fallait pas être grand clerc pour anticiper des retours à la pelle. Las, pour appâter le client, les pure- players sont tombés dans le piège de la gratuité, c’est-à-dire dans la facilité ! Peut-être au fond étaient-ils conscients de l’impasse mais la folie du web les entraînait au-delà des mesquineries comptables du moment – celles de la « vieille économie »... Ils entraient dans un long tunnel, sans espoir de rentabilité. Et sans possibilité de changer les règles du jeu bien sûr. Difficile avec tout le recul dont nous disposons, soit entre 10 et 15 ans pour ce qui concerne la plupart des pure-players chaussure, spécialistes (Spartoo, Sarenza) ou généralistes (Zalando, Amazon, Cdiscount...), de comprendre une politique incompréhensible ! Au bout du compte, Spartoo quitte en hâte le tout digital pour le marier avec le plus de « brick and mortar » possible (ses propres magasins et la chaîne André acquise récemment). Sarenza, lui, a été absorbé par Monoprix ; son ancien dirigeant est devenu un bon soldat de l’enseigne, en tant que membre de son comité exécutif en charge du numérique. S’agissant d’un acteur majeur du e-commerce – et de la chaussure – comme Amazon, peu lui chaut au fond une rentabilité rapide dans son métier de base tant que ses autres activités rémunératrices, tels le cloud et le big data, la lui assurent.

Autre « bizarrerie » quasi inguérissable causée par Internet : la très forte inclination de la finance en général et de la banque en particulier à abonder sans fin les caisses d’une myriade de start up qui savent leur faire miroiter des lendemains qui chantent fort sinon toujours juste. Certes, la finance, échaudée, est désormais plus regardante sur ces puits insondables mais elle continue à avoir les yeux de Chimène pour ces « pépites » qu’elle ne veut pas manquer. Ces start up, plus en quête visibilité que de viabilité, semble-t-il, fondent souvent leur modèle sur une application mobile pour le commerce les services. On connaît les fameuses non rentables – et controversées – Uber et Airbnb, mais beaucoup d’autres, inconnues du public, attirent les financeurs comme un aimant. Cela n’aurait guère d’importance si ces fonds considérables réservés à tant de chimères n’étaient soustraits au commerce physique qui a besoin de financements pour réussir sa transformation digitale.
 


Le magasin Spartoo à la Défense.
 


Un magasin Eram rue des Ternes à Paris. Les enseignes ont besoin de fonds pour leur transformation
digitale. Les banques préfèrent regarder du côté de la "Nouvelle économie".

 

Le commerce physique, c’est-à-dire la clientèle historique des banques, soit dit en passant. C’est une plainte que l’on a entendue récemment chez Procos, la fédération pour la promotion du commerce spécialisé (les fameuses « Enseignes »). Le commerce est en difficulté, les magasins comme les pure-players. Tous ont besoin de se réinventer à travers le « phygital » : les pure-players en intégrant un univers traditionnel qu’ils snobaient à leurs débuts, les magasins en se convertissant à la nouvelle religion du digital. Les enseignes, chaînes comme indépendants, qu’elles ressortissent à l’un ou l’autre monde, ont besoin de muter vers l’omnicanal. Mais cette transformation coûte cher. Le commerce de la mode est appauvri après trop de mauvaises campagnes successives, il n’a tout simplement pas les moyens (en dehors du luxe) de ses ambitions stratégiques.

Car après le temps des faux semblants et des affirmations péremptoires proférés par les uns et les autres, la prudence et la raison ont pris le relais chez les acteurs du commerce et de la distribution. L’horizon du tout digital est bouché dans nombre de domaines dont celui du commerce de la chaussure tandis que le tout physique n’est plus une option, en tous cas à moyen terme, tous types de commerce confondus. Chacun doit désormais emprunter au meilleur des deux mondes pour donner naissance à une nouvelle expérience dans son commerce, qu’il ressortisse au « grand » commerce ou au commerce de proximité et au commerce indépendant en général. Les lubies des pionniers du tout digital comme les tentatives désespérées d’arrimage au monde ancien n’ont plus lieu d’être. Elles ont été la marque d’une certaine paresse devant l’inéluctable. La vraie révolution se passe en effet dans les esprits. Comme l’intendance, la révolution technologique suivra.

Source: L'essentiel de la chaussure


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